Au théâtre ce matin : Phèdre
Réécrite et mise en scène par Marie Piémontèse, la figure mythologique paraît travailler de l'intérieur la comédienne Isabelle Lafon, dont seul le visage apparaît, projeté depuis son ordinateur.
Cette idée de Marie Piémontèse (comédienne très présente dans le travail de Joël Pommerat) de ne pas se plier à l’horaire ordinaire du soir pour nous faire venir au théâtre et nous ramener à Phèdre, de surcroît, n’est pas pour nous déplaire. Au contraire. Le matin, c’est autre chose, l’esprit est encore vierge des contingences qui lassent et des mots de trop. Et il y a encore ce ressac de la nuit, cette sensation si singulière des bribes qu’elle laisse flotter autour de nous.
Tel un ressac, ainsi agit sur nous l’imposant personnage de Phèdre, son mythe. Ainsi nous effleure cette femme via l’image, le visage d’Isabelle Lafon qui nous environne, flotte en grand sur les murs, le plafond qu’on dirait parfois ceux d’une chapelle. L’actrice tutoie chacun de nous, se confesse depuis un espace, une chambre qui nous échappe. Elle s’y retranche, derrière son écran, fait halte pour fuir la lumière et son désir d’Hyppolite après une nuit passée à le photographier à son insu. À vouloir le saisir.
Phèdre photographe? L’idée d’une transposition peut rendre méfiant car souvent se voit trop la visite faite à la fable initiale. Dans Phèdre le matin, on est dans une autre métamorphose qui passe par le dépouillement. Celui de la mise en scène : il y a là une jeune fille au violoncelle, et un jeune homme, peut-être Hippolyte ou un émissaire, on ne sait, dont Phèdre n’envisage pas la présence. Les deux comédiens ont à bas bruit de rares conciliabules, ils sont un peu là comme nous. Nous qui écoutons Isabelle Lafon, actrice qui offre un vis-à-vis intense, direct. Elle nous dit être fascinée, justement, par l’insistance du visage, et la photographie, ô combien, médium «où la peau doit rester la peau». Elle rappelle à elle les sensations de l’enfance, sable et mer à ses pieds. Et raconte l’expérience extrême, comme pour faire violence à l’attirance honnie, du sable goûté au fond de l’eau. Et cette femme-là de nous dire «le désir qui va jusqu’à la nausée». Phèdre l’ancienne, la classique, est ici présente dans ses aigus. Il semble qu’on la voit travailler de l’intérieur la voix et le coeur d’une comédienne et d’une auteure qui l’auraient gardée en elles, il y a loin, enclose. Comme une empreinte.
Jusqu’au 29 juin, les mercredis, jeudis et vendredis à 10h, les samedis à 14h30.
94, rue Jean-Pierre Timbaud, Paris 11e. Métro Couronnes ou Parmentier. Réservations : 01 48 05 88 27 et maisondesmetallos.org
, par Aude Brédy